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K
Les analyses présentées ci-dessous concernent les livres
acquis par le Centre Jeanne d'Arc depuis 1990.
GASPARRI (F.), Crimes et châtiments en Provence au temps du
roi René. Procédure criminelle au XVe siècle, Paris, Le Léopard d'Or,
1989, publié avec le concours du CNRS, 477 p., photos, cartes.
Le caractère exceptionnel de cet ouvrage vient de ce qu'il est basé sur
un manuscrit authentique du XVe siècle. Ce manuscrit est le procès verbal
d'une procédure criminelle, engagée en 1439 par la justice du roi René
à Apt contre des brigands de grands chemins, criminels dangereux qui faisaient
régner la terreur dans la vallée du Rhône et les Alpes de Haute Provence.
Pourchassés par une justice intransigeante, ils furent traqués, capturés,
mis à la question et exécutés. En étudiant ce document, F. Gasparri met
à jour une société désorganisée, ravagée par la guerre de cent ans. L'ouvrage
commence par une étude historique et sociologique de cette région à cette
époque, fort instructive. Suit la traduction du document, puis la restitution
de celui-ci dans sa version originale - latine - accompagnée d'un important
glossaire en français médiéval, en provençal et en latin. Au départ ouvrage
technique et scientifique, ce livre se lit comme un passionnant roman
policier. F. Gasparri a tiré de cette étude un livre moins technique intitulé
: "Un crime en Provence au XVe siècle", dans lequel elle ne raconte que
la trame du récit dans son contexte médiéval provençal, et qui reste un
document très intéressant, voir touchant pour qui connaît le Pont Julien,
l'ancienne voie romaine allant d'Apt à Cavaillon ou même l'auberge du
Moulin Blanc...
GAUCHER (E.), La biographie chevaleresque, typologie d'un genre
(XIIIe-XVe siècle), Paris, Honoré Champion, 1994, 695 p.
A partir des biographies de dix nobles ayant bâti leur gloire sur la
prouesse chevaleresque, de Guillaume le Maréchal à Jacques de Lalaing,
en passant par Du Guesclin, Gaston de Foix et Boucicaut, E. Gaucher aborde
de façon magistrale les pratiques littéraires médiévales, c'est à dire
l'écriture, les systèmes de lecture et les formes de réception des œuvres
liés à l'évolution du "champ littéraire" médiéval. Le genre biographique
eut un succès momentané (XIII-XVe s.) avant de disparaître ou de "dégénérer
dans le roman populaire" (p. 45). Il s'agit d'œuvres de commandes, au
rayonnement régional dans un premier temps, traduisant l'évolution de
la conscience lignagière des nobles. L'aristocratie découvre l'enjeu que
représente la mémoire, ses exemples et ses précédents, pour un groupe
social. "Le Moyen Age, écrit E. Gaucher, ne connaît pas d'autre moyen
pour justifier le présent" (p. 99). Effort de propagande aristocratique
légitimant un pouvoir, par exemple contre l'affirmation de la bourgeoisie,
autant que témoignage de la mémoire familiale, la biographie chevaleresque
nous présente un miroir faussement individuel. Pour le plaisir de son
commanditaire, le biographe "conte" des histoires tout en faisant l'histoire
(p. 106), "se fait comptable" d'une "mémoire sélective et orientée" (p.
434). D'ailleurs, la véracité du récit au Moyen Age ne fonde pas son historicité.
Plus soucieux de la forme littéraire que du respect de la vie de son chevalier,
le biographe travaille à produire l'illusion de l'authenticité selon des
conventions et des types d'écriture propres. "Le but n'est pas de raconter
la vérité, mais de la créer" (p. 84).
L'intérêt historique d'une biographie chevaleresque est donc bien au delà
de ses apports factuels. E. Gaucher dévoile tout au long de son livre
l'illusion biographique, opérante, au Moyen Age comme dans les travaux
les plus récents, tant que restent cachés au lecteur comme à l'écrivain
ce qu'on pourrait appeler la "biographie du biographe" et le champ d'action
dans lequel elle s'inscrit.
GAUVARD Claude, "De grâce especial", Crime, état et société
en France à la fin du Moyen Age, Paris, Publications de la Sorbonne,
1991, 2 vol., 1026 p., index.
Une des importantes thèses de la décennie nous est offerte dans une version
complète qui permet de suivre la démarche historique dans ses cheminements.
Les derniers siècles du Moyen Age nous ont laissés une magnifique série
de sources judiciaires : les layettes du Trésor des Chartes et les registres
du Parlement de Paris. Avec quelques autres, elles ont servi à étudier
cette justice médiévale à la fois terrible et pleine de mansuétude dont
les images hantent encore les manuels et les romanciers - Gilles de Rais
nous en fournit un exemple récent. Madame Gauvard a cherché à montrer
ce qu'étaient crimes et criminels aux XIVe et XVe siècles, en évitant
les rapprochements faciles avec notre époque : les mots ne sont plus les
mêmes et les échelles de valeur sont différentes.
Certes le crime, perturbateur de l'ordre public, est activement poursuivi,
et dans bien des cas on cherchera le fauteur de trouble chez les vagabonds,
les marginaux et les Juifs, mais on les trouvera surtout chez les gens
ordinaires, qu'une violence soudaine jette dans le malheur du sang versé.
Les sources les plus nombreuses et les plus bavardes sont en effet les
lettres de rémission, ces actes de la chancellerie royale qui, à la demande
des amis et parents des coupables, et après un récit des faits, proclamaient
la grâce des coupables, sans pour autant les proclamer innocents.
Ces "faits-divers" permettent d'étudier la violence et sa répression dans
la société de cette époque : l'honneur y est plus cher que la vie... Mais
l'état doit veiller à ce que la vengeance n'entraîne pas la désintégration
de la société, il prend donc en charge la punition, qu'il tempère par
la grâce.
Genèse médiévale de l'anthroponymie moderne, Tours, Publications
de l'université, t. I, sous la direction de M. Bourin, 1990, 251 p., t.
II-1, Persistances du nom unique, Le cas de la Bretagne, L'anthroponymie
des clercs, sous la direction de M. Bourin et P. Chareille, 1992,
162 p., t. II-2, Persistances du nom unique, Désignation et des femmes,
Méthodes statistiques pour l'anthroponymie, sous la direction de M.
Bourin et P. Chareille, 1992, 330 p., t. III, Enquêtes généalogiques
et données prosopographiques, sous la direction de M. Bourin et P.
Chareille, 1995, 241 p., t. III [bis], Fascicules de tableaux généalogiques,
sous la direction de M. Bourin et P. Chareille, 1995, 26 p., t. IV, Discours
sur le nom : normes, usages, imaginaire (VIe-XVIe siècles), sous la
direction de P. Beck, 1997, 252 p.
A noter dans le dernier volume une étude sur le nom de Jeanne
d'Arc par F. Michaud-Fréjaville : "Dans son pays on l'appelait
Jeannette", Essai sur le discours et l'usage anthroponymique dans
le Procès de Jeanne d'Arc (p. 163-177).
GIESEY (R. E.) Le roi ne meurt jamais. Les obsèques royales
dans la France de la Renaissance, traduit de l’anglais par Dominique
Ebnôther, préface de François Furet, publié avec le concours du Centre
National des Lettres, Paris, Flammarion, 1987, in-80, IV-350 p., (coll.
Nouvelle Bibliothèque Scientifique).
Dans un temps aussi formaliste et épris de symboles que le Moyen Age
(car l'étude, contrairement à son titre, ne concerne pas
que la Renaissance), la simple succession des monarques est un problème
toujours recommencé. Comment harmoniser la nécessité d’une continuité
de commandement et le nécessaire accomplissement des rites qui, seuls,
transforment un homme en roi ? Déjà critique en temps normal, la situation
peut devenir tragique quand le roi meurt au loin, comme Saint Louis, ou
quand un successeur est lui-même éloigné, comme Henri III, ou mineur.
A qui sont dus les honneurs, au roi mort pas encore inhumé ou à son successeur
pas encore sacré ? Les solutions ont évolué : les premiers capétiens faisaient
sacrer leur fils de leur vivant ; à partir de Charles VI, on imagine de
représenter la dépouille du roi défunt par un mannequin, qui permet le
déroulement d’une liturgie minutieuse et tatillonne sans avoir à se soucier
de l’état du corps, rapidement enseveli mais toujours représenté, acteur
du méticuleux dépouillement de tous ses pouvoirs au profit de son héritier.
A une situation apparemment simple, des générations de conseillers et
de théoriciens ont apporté une réponse de plus en plus complexe, faisant
peu à peu apparaître la notion d’Etat, au delà, au-dessus, au travers
du roi. Le roi ne meurt jamais, l’Etat s’incarne simplement dans des figures
successives.
GINZBURG (C.), Le sabbat des sorcières, Paris, Gallimard,
1992, 423 p.
Bien maltraité (mais plutôt injustement) dans le dernier ouvrage
de M. Muchembled, ce livre est plus un catalogue des croyances médiévales
que la description d'un monde parallèle obéissant toujours aux anciens
dieux, en marge du monde chrétien. Voir des paysans appliquer des rites
antiques ne signifie pas qu'ils adhéraient aux croyances païennes. Après
tout, quel enfant chômant le jeudi, du temps où la semaine des quatre
jeudis signifiait encore quelque chose, savait que c'était en l'honneur
de Jupiter ? A lire donc dans la lignée des ouvrages de Dumézil.
GONTHIER (N.), Cris de haine et rites d'unité, la violence
dans les villes, XIIIe-XVIe siècle, Turnhout, Brépols, 1992, 246 p.
Dans cette synthèse parfaitement construite, Nicole Gonthier relève les
traits caractéristiques de la violence urbaine médiévale (origine, formes,
lieux, traitement).
Au Moyen Age, l'action d'un individu est toujours liée aux intérêts d'un
groupe plus large. Ce peut être ceux de la communauté entière face à l'étranger
ou face au pauvre. Le plus souvent, ces solidarités (familles, clans,
ghildes...) engendrent et entretiennent des divisions au sein des villes
closes. Ceci d'autant plus facilement que les dispositions à la violence
sont partagées par tous (par exemple lorsqu'il s'agit de défendre son
honneur) et se donnent libre cours. La violence des jeunes reproduit celle
des aînés dans un fort désir de s'intégrer aux cadres pré-établis de la
société. Les tentatives de remèdes, la volonté d'établir un certain ordre
existent mais sont le fait d'hommes soumis eux-mêmes à ces dispositions
(la répression est elle-même particulièrement brutale). La violence demeure
sur la période étudiée comme "une nuisance spécifique à la vie urbaine
qui mérite moins que le vol la sévérité des tribunaux" conclut N. Gonthier
(p. 217).
GOROCHOV (N.), Le collège de Navarre de sa fondation (1305)
au début du XVe siècle (1418). Histoire de l'institution, de sa vie intellectuelle
et de son recrutement, Paris, Honoré Champion, 1997, 757 p. (Etudes
d'histoire médiévales, I).
Ce copieux travail prend pour sujet une fondation royale destinée à aider
des étudiants pauvres (ou tout au moins pas bien riches) à faire leurs
études à Paris, alors capitale universitaire de l'occident chrétien. Installée
à l'instigation de la reine Jeanne de Navarre, épouse de Philippe le Bel,
cette institution passe pour avoir été la pépinière des légistes qui entourèrent
les souverains de la fin du Moyen Âge et, à tort ou à raison, pour avoir
favorisé par ses soixante-dix bourses l'éducation et la carrière de quantité
d'universitaires et de serviteurs de l'Etat.
Cet ouvrage s'attache justement à ces sept cents étudiants, à leur vie
dans cette maison - où les études qui s'effectuaient au sein même du collège,
ce qui était la grande originalité prévue dans la charte de fondation
du 25 mars 1305, furent rapidement abandonnées - et se penche surtout
sur le recrutement des boursiers. Protégé par les souverains, qui réforment
l'établissement après 1370, le collège a été le lieu de formation d'un
assez fort noyau considéré comme "armagnac" : Pierre d'Ailly, Jean de
Montreuil, Nicolas de Clamanges, Jean Gerson, Martin Berruyer, Gérard
Machet entre autres. L'entrée des Bourguignons à Paris en mai 1418 s'est,
naturellement pourrait-on dire, accompagnée du pillage systématique du
collège et de la dispersion de ses membres. Une série de plus de deux
cent cinquante notices biographiques complète l'étude historique.
Si l'on regrette que la part prise par Gerson, Machet et Berruyer au dossier
historique de Jeanne d'Arc n'y soit pas mentionnée, ce n'est qu'un détail
qui n'entache en rien ce très bon ouvrage.
GOUREVITCH (A. J.), La culture populaire au Moyen Age : "simplices
et Docti", traduit du russe par Elena Balzamo, Paris, Aubier, 1996,
447 p. (Histoires).
Cet ouvrage, traduit du russe, donne une analyse de la culture médiévale
vue par les illettrés. Il comprend une importante bibliographie et un
index des noms propres. Les notes sont très renseignées et complètes.
L'auteur ne veut pas donner une définition de la culture médiévale, mais
il cherche à rendre à l'homme médiéval son mode de pensée, sa perception
du réel. Il met en valeur le "paradoxe de la culture médiévale" né de
la rencontre entre la culture populaire liée à la compréhension de la
doctrine officielle de l'Eglise, et les superstitions traditionnelles.
L'auteur s'appuie sur des sources écrites. Il illustre une démarche d'historien
très fréquente à l'heure actuelle : "l'histoire médiévale n'est plus considérée
uniquement du point de vue des élites intellectuelles, mais également
d'en bas, du point de vue des simplices illettrés".
GUENEE Bernard, Un meurtre, une société, l'assassinat du duc
d'Orléans : 23 novembre 1407, Paris, Gallimard, 1992, 359 p. (Trente
journées qui ont fait la France).
Un des grands historiens médiévistes français se penche à son tour sur
les meurtres politiques qui jetèrent la France du XVe siècle dans la guerre
civile. Pourquoi Jean sans peur revendique-t-il si haut la responsabilité
de la mort de Louis d'Orléans, frère du roi ? Comment expliquer la haine,
la violence individuelle et collective auxquelles répondent les complots,
le guet-apens de Montereau ? Le grand mérite de cet ouvrage, riche et
difficile, est de minutieusement décortiquer les débats justificatifs
qui suivirent l'assassinat du duc d'Orléans et le meurtre expiatoire de
Jean sans Peur. Finalement, le secret de Jeanne d'Arc serait la certitude
du pardon accordé à Charles VII pour la tragédie de Montereau, analyse
dérivant d'une exégèse peut-être un peu trop
littérale d'une phrase tirée du Procès : "elle
venait lui donner signe sur ses actes".
La Guerre de 1870/71 et ses conséquences, sous la direction de
P. Levillain, R. Riemenschneider, Actes du XXe colloque historique franco-allemand
organisé par l'Institut Historique allemand en coopération avec le Centre
de Recherches Adolphe Thiers, du 10 au 12 octobre 1984 et du 15 au 15
octobre 1985, Bonn, Bouvier Verlag, 1990, 603 p. (Pariser Historiche Studien,
Herausgegeben vom Deutschen Historichen Institut Paris, band 29).
La défaite française de 1870/71 a, on le sait, été suivie d'un renouveau
patriotique qui n'a pas toujours été jusqu'au nationalisme. Au nombre
des manifestations de l'attachement à la patrie il y a incontestablement
la popularité du personnage de Jeanne d'Arc, modèle de résistance à l'occupation
ennemie. Dans ce recueil, la contribution de C. Amalvi, "La défaite mode
d'emploi, recherches sur l'utilisation rétrospective du passé" (p. 451-464),
donne la liste des événements du passé national dont on se servit pour
trouver dans la défaite matière à servir de leçons pour l'avenir : la
conquête romaine, les invasions barbares, la guerre de Cent Ans, les guerres
napoléoniennes. Il était tentant de mettre Crécy, Poitiers et Azincourt
en parallèle avec Sedan ! On ne pouvait alors qu'appeler de tout coeur
soit la réforme morale qui fera surgir des saints, soit l'ardeur patriotique.
Dans les deux cas Jeanne d'Arc était un modèle. A. Le Normand-Romain trace
de son côté un très suggestif tableau des monuments commémoratifs (p.
494-505) et surtout funéraires.
La Guerre, la violence et les gens au Moyen Age : t. I, Guerre
et violence, sous la direction de Philippe Contamine et Olivier Guyot-Jeannin,
Paris, C.T.H.S., 1996, 366 p.
Cet ouvrage est un recueil de travaux réalisés, à partir de sources inédites,
sur le Languedoc au XIIIe siècle, sur la guerre en Italie, en Provence
et en Normandie à la fin du Moyen Age. Il aborde des thèmes très intéressant
tel que l'attitude des écrivains comme Eustache Deschamps face à la guerre,
la rançon des prisonniers...
C'est une collection très sérieuse qui s'adresse plutôt aux universitaires
spécialisés dans le domaine. Le présent ouvrage comporte des articles
français, espagnol et anglais. Ils sont appuyés de notes de bas de pages
précises et bien documentées.
La guerre, la violence et les gens au Moyen Age, t. II, La
violence et les gens au Moyen Age, Actes du 119e Congrès des
Sociétés savantes, Amiens, octobre 1994, Paris, C.T.H.S., 1996, 315 p.
La première section consacrée aux "femmes dans la guerre" compare d'abord
les exemples de la Castille et de la France, deux royaumes confrontés
à une régence féminine au début du XIIIe siècle. Dans les deux cas les
régentes durent assumer des rôles "masculins" : mener des campagnes militaires,
garantir des traités de paix. (R. U. Vones Liebenstein). C'est à un personnage
plus discuté que Blanche de Castille que s'attaque R. Gibbon en se consacrant
à Isabeau de Bavière et son rôle au début de la lutte entre Armagnacs
et Bourguignons (1405-1415). Il semble bien que la reine tout en étant
au départ favorable à la cause des princes d'Orléans ait tout fait pour
maintenir la paix civile en jouant un rôle actif jusqu'à la majorité du
dauphin Louis de Guyenne (janvier 1411). Ensuite, remplacée par son fils,
elle est provisoirement écartée de la médiation entre les princes.
F. Verrrier a recherché comment les chroniques, journaux et mémoires présentaient
les femmes fortes italiennes, "viragos" au sens propre, lors des luttes
communales du XVIe siècle entre Florence et ses ennemies Sienne et Pise.
Les Pisanes et les Siennoises y acquirent une solide réputation de "combattantes".
Cependant il s'agissait de résister à un siège, en des combats uniquement
défensifs au cours desquels les tâches féminines se résumaient à porter
des munitions et du matériel de réparation des brèches, du travail d'intendance
en somme. Dans les textes elles sont cependant comparées à Véturie, la
mère de Coriolan, ou à l'inévitable Judith et l'on trouve même à Pise
une sorte de milice féminine dotée de vêtements ad hoc, qui tout en aiguisant
la verve machiste ouvre cependant aux femmes une part de l'espace masculin.
Les autres articles nous intéressent moins directement. On notera toutefois
la copieuse contribution de Ch. Ut sur les pays de l'Oise sous la domination
anglaise (1420-1435), constituée d'un appareil fort considérable de 273
analyses d'actes de la série JJ des Archives nationales et la transcription
de 30 d'entre eux. Nous y trouvons les échos des campagnes des troupes
royales de Charles VII autour de Beauvais et les preuves de la désorganisation
du temps de guerre.
Histoire des droites en France, sous la direction
de Jean-François Sirinelli, Paris, Gallimard, 1993, t. I, Politique, 794
p., t. II, Cultures, 771 p., t. III, Sensibilités, 956 p.
Les trois gros volumes qui composent l'Histoire des droites en France,
par leur ampleur, témoignent de la réhabilitation parmi les centres d'intérêt
de l'historien de "l'objet politique" (p. VII). L'oeuvre s'offre volontiers
comme une "somme des acquis récents de l'école historique française" (p.
XXXV), mettant à contribution une équipe de chercheurs venue de divers
horizons. La publication de ces cinquante articles aux renvois multiples,
gage d'une profonde unité, intervient au moment où l'on s'interroge sur
la validité du clivage gauche-droite et veut redonner à cette indéniable
actualité l'épaisseur du temps. Le parcours du premier volume offre au
lecteur une étude proche des événements qu'enrichissent les volumes II
(Cultures) et III (Sensibilités). En se fondant sur les enjeux de l'époque,
les auteurs dégagent une ligne de partage dissociant droites et gauches.
Les référents communs à la famille des droites, notamment ceux liés à
l'histoire, sont analysés dans le volume II, tandis que le volume III
s'attache à l'homme de droite envisagé à travers des études s'articulant
autour de thèmes tels que la famille, l'éducation, la religion, la vie
dans la cité. Un indexage imposant permet un accès facile et invite à
d'éventuelles lectures transversales.
L'étude de la figure de Jeanne d'Arc dans la mémoire des droites en est
une, particulièrement fructueuse. Autour de l'article synthétique de Ph.
Contamine (t. II, pp. 399-436) gravitent un ensemble d'études qui situent
Jeanne d'Arc dans des enjeux plus larges, liés à la charnière des XIXe
et XXe siècles aux luttes anti-cléricales, au nationalisme. On pourra
par exemple lire avec intérêt "Histoire et historiens de droite", rédigé
par Olivier Dumoulin (t. II, p. 325-399) qui analyse la progressive autonomie
de l'histoire à l'égard du politique, "au prix du rôle social de l'historien"
(p. 385).
Histoire des femmes, sous la direction de Georges Duby et de Michelle
Perrot, t. II, Le Moyen Age, sous la direction de Christiane Klapish-Zuber,
Plon, Paris, 1990, 567 p., ill.
Une étude de la condition féminine, par thèmes et par époques, rendue
délicate par le fait que pour les siècles les plus anciens, on n'arrive
à définir que le mode de vie des nobles, laïcs ou clercs. Une histoire
des paysans en général n'étant pas encore réalisable compte tenu de ce
que nous savons, une histoire des paysannes est, a fortiori, impensable.
Une conclusion semble néanmoins se dégager : au gré des fluctuations de
la liberté d'action des femmes, mieux valait malgré tout être une aristocrate
au XIIe siècle qu'une pauvresse au XVIe siècle. Même si le sujet, à la
mode, incite à reconsidérer notre façon de penser, il reste malgré tout
que la seule façon pour une femme de s'imposer sans contestation aux hommes
était d'être une reine ou d'être une sainte.
Histoire militaire de la France, sous la direction d'André Corvisier,
P.U.F., Paris, t. I, Des Origines à 1715, sous la direction de
Philippe Contamine, 1992, 632 p., ill.
Vaste fresque historique qui s'attache d'ailleurs plutôt à l'étude des
structures étatiques et militaires qu'à "l'histoire bataille", ce que
son titre pourrait faire croire. Ce livre passe en revue, période par
période, les efforts, à vrai dire irréguliers, de la royauté française
pour se doter d'une force armée supérieure à celle de ses adversaires
potentiels. La première impression qui se dégage de ce livre est que la
royauté française n'est pas d'essence militaire ; même si elle fut la
première à se doter d'une armée permanente, elle ne prend que rarement
l'offensive, et dissout ses troupes dès que le danger est passé. D'où
de continuels retours en arrière, d'autant plus que le danger est polymorphe,
le jeu des alliances faisant que l'Angleterre, l'Espagne, l'Empire germanique,
sont tantôt des alliés, tantôt des ennemis, ce qui oblige sans cesse à
parer au plus pressé sur des fronts divers. Il n'était pas possible humainement
ou financièrement de fortifier toutes les frontières, d'ailleurs changeantes,
tout en maintenant une flotte et une armée puissantes, d'où les aléas
d'une marine de guerre, sans cesse renaissante et toujours abandonnée,
on pourrait dire depuis Charlemagne.
La partie consacrée à la guerre de Cent Ans montre avec quelle facilité
l'Angleterre, capable d'une meilleure mobilisation de ses forces, dotée
d'une puissante marine, d'une armée aguerrie et disciplinée, pouvait vaincre
militairement le royaume de France, souvent paralysé par des désordres
internes ou des guerres civiles. Face à cet état de fait, la riposte fut
surtout économique : fortification de tout ce qui pouvait être défendu,
destruction du reste, recours systématique aux mercenaires étrangers,
mise sur pieds d'une armée permanente, enfin, sous Charles VII, création
d'un redoutable parc d'artillerie.
Honneur de la couronne de France, quatre libelles contre les Anglais
(vers 1418-vers 1429), éd. Nicole PONS, Paris, Klincksieck (Société
de l'Histoire de France), 1990, 221 p.
Quatre courts textes (deux en latin et deux en français), offrent des
exemples, moins rares qu'on le croit, de littérature de propagande de
guerre française à l'usage du public, certes assez restreint, des gens
qui lisaient. Il s'agit évidement de prouver le bon droit de la cause
française. Les Débats et appointements (1418-1419), assez solidement
étayés sont un raccourci historique justifiant la fidélité au roi français.
Super omnia vincit veritas, suivi de Réponse d'un bon et loyal
François (1419) proviennent du Parlement de Poitiers et reflètent
les arguments des milieux demeurés envers et contre tout fidèles au dauphin.
Le dernier, Fluxo biennali spacio (avant 1430) n'est qu'un brouillon
présentant une démonstration de la légitimité du roi de France - Charles
VII évidement.
HOROWITZ (J.), MENACHE (S.), L'humour en chaire, le rire dans
l'Eglise médiévale, Genève, Labor et Fides, 1993, 287 p.
Sommes nous sur terre pour rire ou pour pleurer sur nos péchés, telle
est la question à laquelle saint Jean Chrysostome répondait : "pour pleurer".
Les théologiens ont, jusqu'au XIIIe siècle, beaucoup insisté sur le non-rire,
tandis que l'église tolérait la soupape du carnaval et pratiquait, semble-t-il,
déjà l'humour dans les sermons.
A partir de la prédication des Frères mendiants, le rire, ou le sourire,
deviennent des procédés rhétoriques assez systématiques : il s'agit de
réveiller l'auditoire, de le faire réfléchir et surtout de l'aider à mémoriser
l'enseignement de la morale. En effet, aussi bien en fustigeant la conduite
des prêtres négligeants que celle des religieux hypocrites, en dénonçant
les femmes coquettes et les maris brutaux, le rire visait à inculquer
une morale du comportement envers les autres, conforme à l'idée que l'on
se faisait du projet de Dieu. En attendant, la religion prenait parfois
un visage moins sévère ! On s'est souvent demandé quelle était la pédagogie
pastorale des prêtres qui ont aidé à former la personnalité religieuse
de Jeanne d'Arc. Sa foi et son comportement sont très visiblement pétris
de confiance et d'humour, fruits d'un tempérament, certes, mais qu'un
enseignement a pu aider à s'épanouir. C'est une question que les auteurs
n'ont pas posée.
JACKSON (R. A.), Vivat Rex. Histoire des sacres
et couronnements en France 1364-1825, publié avec le concours de l'Université
de Houston et de la Minnie Stevens Piper Foundation, Association des publications
près les Universités de Strasbourg, diffusion éd. Ophrys, 1984, 238 p.
Il ne faut pas hésiter à souligner tout l'intérêt de ce
petit livre érudit et passionnant. Bien au-delà de la cérémonie et des
objets du sacre présentés lors d'une exposition remarquable du Louvre
en 1990-1991, l'auteur cherche à percer les implications profondes de
l'onction royale. On retiendra particulièrement la très fine analyse de
la notion du serment par lequel le roi aurait juré de ne jamais aliéner
"la souveraineté, les droits et la noblesse de la couronne", et dont Jackson
montre qu'elle est née de la question de l'Aquitaine après le traité de
Brétigny (1360).
Par dessus tout ce brillant essai est une remarquable étude sur l'élaboration
de la religion royale caractéristique de l'absolutisme d'Ancien Régime.
JACOB Robert, Les époux, le seigneur et la cité, Coutume et
pratiques matrimoniales des bourgeois et paysans de France du Nord au
Moyen Age, Bruxelles, 1990, (Publications des Facultés universitaires
Saint-Louis 50), 468 p.
Il s'agit d'une thèse d'histoire du droit, fondée sur une documentation
exceptionnelle, celle du Douaisis. L'idée de départ était de chercher
s'il y a une histoire parallèle des humbles et des nobles, des possédants
et des dépendants dont les pratiques matrimoniales seraient l'un des révélateurs.
L'ouvrage est ici consacré aux roturiers. L'étude des ménages de Douai
montre une évolution qui va du début du XIIIe siècle où les ménages pratiquent
la coutume des dons réciproques de leur vivant et les legs au survivant,
usage qui place au premier plan la "conjugalité", jusqu'à la fin du XVe
siècle, quand la famille passe au premier plan, instaure le régime dotal
(vers 1375), puis le douaire coutumier (v. 1440). L'auteur voit dans cette
évolution, qui avec d'infinies variations dans le temps, finit par se
répandre dans le plat pays et dans d'autres cités de la région de coutume
"picarde-wallonne", la conséquence de l'influence nobiliaire, certes,
mais aussi l'impact de l'insécurité de la fin du Moyen Age. Il fallait
assurer aux femmes et aux enfants, comme aux survivants des lignages,
la sécurité des héritages.
Les connaisseurs du droit, de plus en plus nombreux, ont aidé les familles
anxieuses à trouver des solutions, rien d'étonnant à ce que ces dernières,
fondues dans des moules voisins, aient présenté une certaine parenté avec
celles pratiquées par la noblesse.
KEEGAN (J.), Anatomie de la bataille, Paris,
R. Laffont, 1993, 324 p.
Le livre de Keegan poursuit deux buts : comprendre quelle pouvait être
la perception individuelle que les combattants purent avoir de trois batailles
: Azincourt, Waterloo, la Somme, et savoir quelle était leur efficacité
personnelle et celle de leurs armes. Les conclusions sont extrêmement
intéressantes, même si elles ne sont pas révolutionnaires : les conflits
modernes sont plus meurtriers, parce que les armes sont plus efficaces,
certes, mais ce qui est mis en évidence dans cette étude, c'est que, même
au Moyen Age, une proportion importante des combattants ne voyait pas
l'ennemi, et qu'un quart seulement peut-être avait l'occasion d'utiliser
ses armes. La confrontation directe, homme à homme, est en fait assez
rare, tout simplement parce que les soldats répugnent à s'approcher de
l'ennemi à moins d'une "distance critique" d'environ 40 m, les corps à
corps étant donc peu fréquents, générés presque uniquement par des rencontres
fortuites et par des mouvements de foule. C'est surtout l'ennemi blessé
qu'on tue, l'ennemi en fuite que l'on attaque. C'est en effet parfaitement
conforme à ce que l'on peut savoir des faibles pertes chez les vainqueurs
des conflits médiévaux, encore qu'il ne faille pas sans doute s'exagérer
la répugnance des combattants à aller "au contact",
poussés par une émulation basée sur la crainte d'être
mis au ban de la société.
Si intéressant qu'il soit par ailleurs (le chapitre sur Waterloo se dévore
comme un roman), force est de constater que le livre n'apporte pas grand
chose sur Azincourt. A cela une raison principale : la bibliographie est
généralement ancienne, et remonte parfois jusqu'en 1832. Tous les renseignements
fournis par les chroniqueurs ne sont pas pris en compte, notamment la
mention par le chroniqueur Lefèvre de Saint-Rémy (qui participa au combat
du côté anglais) d'une quatrième ligne de bataille française, qui n'est
pas mentionnée par Keegan. La raison secondaire est un évident parti-pris,
qui aboutit à un contresens total. Retraçant les différents épisodes de
la bataille, Keegan analyse le massacre des premiers prisonniers français
en découpant l'événement en séquences : l'ordre donné par Henri V, le
premier refus des Anglais, la désignation d'un peloton d'égorgeurs, mais
il décide à ce moment que, l'exécution de masse d'hommes désarmés étant
un exercice difficile, la massacre n'a pas pu avoir lieu. Voilà pour le
moins un commentaire de texte original dans ses conclusions, puisque elles
contredisent les textes d'origine. Concluons donc que le chapitre concernant
Azincourt n'apporte rien : Keegan pose un certain nombre de questions
(encadrement des archers, densité des pieux dressés contre les chevaux,
etc.), mais il ne peut pas y répondre, vu le laconisme des sources. Quand
le massacre des prisonniers français le gène, il ne cherche même pas à
l'excuser mais le nie froidement, accumulant pour ce faire une batterie
d'hypothèses gratuites sans plus du tout se référer aux textes. Ses sources
d'information étant trop anciennes et fragmentaires, son récit n'apporte
même pas tous les éléments qu'on serait en droit d'attendre d'un livre
récent. L'ensemble laisse l'impression que la réputation du roi Henri
V est encore de grande importance outre-Manche, même au prix d'atteintes
à la réalité historique. Cela est d'autant plus curieux que, même en France,
on a tendance à considérer qu'il était tout à fait logique, et même encore
assez conforme aux usages du temps, que Henri V ait ordonné d'exécuter
ses prisonniers, ayant vu ses troupes embarrassées par leur grand nombre
alors qu'elles étaient sur le point d'être attaquées par la quatrième
ligne française. Mais il est vrai que Keegan semble justement ignorer
l'existence de cette quatrième ligne.
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