Bibliographies > Etudes Historiques > G à K

Les analyses présentées ci-dessous concernent les livres acquis par le Centre Jeanne d'Arc depuis 1990.

GASPARRI (F.), Crimes et châtiments en Provence au temps du roi René. Procédure criminelle au XVe siècle, Paris, Le Léopard d'Or, 1989, publié avec le concours du CNRS, 477 p., photos, cartes.

Le caractère exceptionnel de cet ouvrage vient de ce qu'il est basé sur un manuscrit authentique du XVe siècle. Ce manuscrit est le procès verbal d'une procédure criminelle, engagée en 1439 par la justice du roi René à Apt contre des brigands de grands chemins, criminels dangereux qui faisaient régner la terreur dans la vallée du Rhône et les Alpes de Haute Provence. Pourchassés par une justice intransigeante, ils furent traqués, capturés, mis à la question et exécutés. En étudiant ce document, F. Gasparri met à jour une société désorganisée, ravagée par la guerre de cent ans. L'ouvrage commence par une étude historique et sociologique de cette région à cette époque, fort instructive. Suit la traduction du document, puis la restitution de celui-ci dans sa version originale - latine - accompagnée d'un important glossaire en français médiéval, en provençal et en latin. Au départ ouvrage technique et scientifique, ce livre se lit comme un passionnant roman policier. F. Gasparri a tiré de cette étude un livre moins technique intitulé : "Un crime en Provence au XVe siècle", dans lequel elle ne raconte que la trame du récit dans son contexte médiéval provençal, et qui reste un document très intéressant, voir touchant pour qui connaît le Pont Julien, l'ancienne voie romaine allant d'Apt à Cavaillon ou même l'auberge du Moulin Blanc...

GAUCHER (E.), La biographie chevaleresque, typologie d'un genre (XIIIe-XVe siècle), Paris, Honoré Champion, 1994, 695 p.

A partir des biographies de dix nobles ayant bâti leur gloire sur la prouesse chevaleresque, de Guillaume le Maréchal à Jacques de Lalaing, en passant par Du Guesclin, Gaston de Foix et Boucicaut, E. Gaucher aborde de façon magistrale les pratiques littéraires médiévales, c'est à dire l'écriture, les systèmes de lecture et les formes de réception des œuvres liés à l'évolution du "champ littéraire" médiéval. Le genre biographique eut un succès momentané (XIII-XVe s.) avant de disparaître ou de "dégénérer dans le roman populaire" (p. 45). Il s'agit d'œuvres de commandes, au rayonnement régional dans un premier temps, traduisant l'évolution de la conscience lignagière des nobles. L'aristocratie découvre l'enjeu que représente la mémoire, ses exemples et ses précédents, pour un groupe social. "Le Moyen Age, écrit E. Gaucher, ne connaît pas d'autre moyen pour justifier le présent" (p. 99). Effort de propagande aristocratique légitimant un pouvoir, par exemple contre l'affirmation de la bourgeoisie, autant que témoignage de la mémoire familiale, la biographie chevaleresque nous présente un miroir faussement individuel. Pour le plaisir de son commanditaire, le biographe "conte" des histoires tout en faisant l'histoire (p. 106), "se fait comptable" d'une "mémoire sélective et orientée" (p. 434). D'ailleurs, la véracité du récit au Moyen Age ne fonde pas son historicité. Plus soucieux de la forme littéraire que du respect de la vie de son chevalier, le biographe travaille à produire l'illusion de l'authenticité selon des conventions et des types d'écriture propres. "Le but n'est pas de raconter la vérité, mais de la créer" (p. 84).
L'intérêt historique d'une biographie chevaleresque est donc bien au delà de ses apports factuels. E. Gaucher dévoile tout au long de son livre l'illusion biographique, opérante, au Moyen Age comme dans les travaux les plus récents, tant que restent cachés au lecteur comme à l'écrivain ce qu'on pourrait appeler la "biographie du biographe" et le champ d'action dans lequel elle s'inscrit.

GAUVARD Claude, "De grâce especial", Crime, état et société en France à la fin du Moyen Age, Paris, Publications de la Sorbonne, 1991, 2 vol., 1026 p., index.

Une des importantes thèses de la décennie nous est offerte dans une version complète qui permet de suivre la démarche historique dans ses cheminements. Les derniers siècles du Moyen Age nous ont laissés une magnifique série de sources judiciaires : les layettes du Trésor des Chartes et les registres du Parlement de Paris. Avec quelques autres, elles ont servi à étudier cette justice médiévale à la fois terrible et pleine de mansuétude dont les images hantent encore les manuels et les romanciers - Gilles de Rais nous en fournit un exemple récent. Madame Gauvard a cherché à montrer ce qu'étaient crimes et criminels aux XIVe et XVe siècles, en évitant les rapprochements faciles avec notre époque : les mots ne sont plus les mêmes et les échelles de valeur sont différentes.
Certes le crime, perturbateur de l'ordre public, est activement poursuivi, et dans bien des cas on cherchera le fauteur de trouble chez les vagabonds, les marginaux et les Juifs, mais on les trouvera surtout chez les gens ordinaires, qu'une violence soudaine jette dans le malheur du sang versé. Les sources les plus nombreuses et les plus bavardes sont en effet les lettres de rémission, ces actes de la chancellerie royale qui, à la demande des amis et parents des coupables, et après un récit des faits, proclamaient la grâce des coupables, sans pour autant les proclamer innocents.
Ces "faits-divers" permettent d'étudier la violence et sa répression dans la société de cette époque : l'honneur y est plus cher que la vie... Mais l'état doit veiller à ce que la vengeance n'entraîne pas la désintégration de la société, il prend donc en charge la punition, qu'il tempère par la grâce.

Genèse médiévale de l'anthroponymie moderne, Tours, Publications de l'université, t. I, sous la direction de M. Bourin, 1990, 251 p., t. II-1, Persistances du nom unique, Le cas de la Bretagne, L'anthroponymie des clercs, sous la direction de M. Bourin et P. Chareille, 1992, 162 p., t. II-2, Persistances du nom unique, Désignation et des femmes, Méthodes statistiques pour l'anthroponymie, sous la direction de M. Bourin et P. Chareille, 1992, 330 p., t. III, Enquêtes généalogiques et données prosopographiques, sous la direction de M. Bourin et P. Chareille, 1995, 241 p., t. III [bis], Fascicules de tableaux généalogiques, sous la direction de M. Bourin et P. Chareille, 1995, 26 p., t. IV, Discours sur le nom : normes, usages, imaginaire (VIe-XVIe siècles), sous la direction de P. Beck, 1997, 252 p.

A noter dans le dernier volume une étude sur le nom de Jeanne d'Arc par F. Michaud-Fréjaville : "Dans son pays on l'appelait Jeannette", Essai sur le discours et l'usage anthroponymique dans le Procès de Jeanne d'Arc (p. 163-177).

GIESEY (R. E.) Le roi ne meurt jamais. Les obsèques royales dans la France de la Renaissance, traduit de l’anglais par Dominique Ebnôther, préface de François Furet, publié avec le concours du Centre National des Lettres, Paris, Flammarion, 1987, in-80, IV-350 p., (coll. Nouvelle Bibliothèque Scientifique).

Dans un temps aussi formaliste et épris de symboles que le Moyen Age (car l'étude, contrairement à son titre, ne concerne pas que la Renaissance), la simple succession des monarques est un problème toujours recommencé. Comment harmoniser la nécessité d’une continuité de commandement et le nécessaire accomplissement des rites qui, seuls, transforment un homme en roi ? Déjà critique en temps normal, la situation peut devenir tragique quand le roi meurt au loin, comme Saint Louis, ou quand un successeur est lui-même éloigné, comme Henri III, ou mineur. A qui sont dus les honneurs, au roi mort pas encore inhumé ou à son successeur pas encore sacré ? Les solutions ont évolué : les premiers capétiens faisaient sacrer leur fils de leur vivant ; à partir de Charles VI, on imagine de représenter la dépouille du roi défunt par un mannequin, qui permet le déroulement d’une liturgie minutieuse et tatillonne sans avoir à se soucier de l’état du corps, rapidement enseveli mais toujours représenté, acteur du méticuleux dépouillement de tous ses pouvoirs au profit de son héritier.
A une situation apparemment simple, des générations de conseillers et de théoriciens ont apporté une réponse de plus en plus complexe, faisant peu à peu apparaître la notion d’Etat, au delà, au-dessus, au travers du roi. Le roi ne meurt jamais, l’Etat s’incarne simplement dans des figures successives.

GINZBURG (C.), Le sabbat des sorcières, Paris, Gallimard, 1992, 423 p.

Bien maltraité (mais plutôt injustement) dans le dernier ouvrage de M. Muchembled, ce livre est plus un catalogue des croyances médiévales que la description d'un monde parallèle obéissant toujours aux anciens dieux, en marge du monde chrétien. Voir des paysans appliquer des rites antiques ne signifie pas qu'ils adhéraient aux croyances païennes. Après tout, quel enfant chômant le jeudi, du temps où la semaine des quatre jeudis signifiait encore quelque chose, savait que c'était en l'honneur de Jupiter ? A lire donc dans la lignée des ouvrages de Dumézil.

GONTHIER (N.), Cris de haine et rites d'unité, la violence dans les villes, XIIIe-XVIe siècle, Turnhout, Brépols, 1992, 246 p.

Dans cette synthèse parfaitement construite, Nicole Gonthier relève les traits caractéristiques de la violence urbaine médiévale (origine, formes, lieux, traitement).
Au Moyen Age, l'action d'un individu est toujours liée aux intérêts d'un groupe plus large. Ce peut être ceux de la communauté entière face à l'étranger ou face au pauvre. Le plus souvent, ces solidarités (familles, clans, ghildes...) engendrent et entretiennent des divisions au sein des villes closes. Ceci d'autant plus facilement que les dispositions à la violence sont partagées par tous (par exemple lorsqu'il s'agit de défendre son honneur) et se donnent libre cours. La violence des jeunes reproduit celle des aînés dans un fort désir de s'intégrer aux cadres pré-établis de la société. Les tentatives de remèdes, la volonté d'établir un certain ordre existent mais sont le fait d'hommes soumis eux-mêmes à ces dispositions (la répression est elle-même particulièrement brutale). La violence demeure sur la période étudiée comme "une nuisance spécifique à la vie urbaine qui mérite moins que le vol la sévérité des tribunaux" conclut N. Gonthier (p. 217).

GOROCHOV (N.), Le collège de Navarre de sa fondation (1305) au début du XVe siècle (1418). Histoire de l'institution, de sa vie intellectuelle et de son recrutement, Paris, Honoré Champion, 1997, 757 p. (Etudes d'histoire médiévales, I).

Ce copieux travail prend pour sujet une fondation royale destinée à aider des étudiants pauvres (ou tout au moins pas bien riches) à faire leurs études à Paris, alors capitale universitaire de l'occident chrétien. Installée à l'instigation de la reine Jeanne de Navarre, épouse de Philippe le Bel, cette institution passe pour avoir été la pépinière des légistes qui entourèrent les souverains de la fin du Moyen Âge et, à tort ou à raison, pour avoir favorisé par ses soixante-dix bourses l'éducation et la carrière de quantité d'universitaires et de serviteurs de l'Etat.
Cet ouvrage s'attache justement à ces sept cents étudiants, à leur vie dans cette maison - où les études qui s'effectuaient au sein même du collège, ce qui était la grande originalité prévue dans la charte de fondation du 25 mars 1305, furent rapidement abandonnées - et se penche surtout sur le recrutement des boursiers. Protégé par les souverains, qui réforment l'établissement après 1370, le collège a été le lieu de formation d'un assez fort noyau considéré comme "armagnac" : Pierre d'Ailly, Jean de Montreuil, Nicolas de Clamanges, Jean Gerson, Martin Berruyer, Gérard Machet entre autres. L'entrée des Bourguignons à Paris en mai 1418 s'est, naturellement pourrait-on dire, accompagnée du pillage systématique du collège et de la dispersion de ses membres. Une série de plus de deux cent cinquante notices biographiques complète l'étude historique.
Si l'on regrette que la part prise par Gerson, Machet et Berruyer au dossier historique de Jeanne d'Arc n'y soit pas mentionnée, ce n'est qu'un détail qui n'entache en rien ce très bon ouvrage.

GOUREVITCH (A. J.), La culture populaire au Moyen Age : "simplices et Docti", traduit du russe par Elena Balzamo, Paris, Aubier, 1996, 447 p. (Histoires).

Cet ouvrage, traduit du russe, donne une analyse de la culture médiévale vue par les illettrés. Il comprend une importante bibliographie et un index des noms propres. Les notes sont très renseignées et complètes. L'auteur ne veut pas donner une définition de la culture médiévale, mais il cherche à rendre à l'homme médiéval son mode de pensée, sa perception du réel. Il met en valeur le "paradoxe de la culture médiévale" né de la rencontre entre la culture populaire liée à la compréhension de la doctrine officielle de l'Eglise, et les superstitions traditionnelles. L'auteur s'appuie sur des sources écrites. Il illustre une démarche d'historien très fréquente à l'heure actuelle : "l'histoire médiévale n'est plus considérée uniquement du point de vue des élites intellectuelles, mais également d'en bas, du point de vue des simplices illettrés".

GUENEE Bernard, Un meurtre, une société, l'assassinat du duc d'Orléans : 23 novembre 1407, Paris, Gallimard, 1992, 359 p. (Trente journées qui ont fait la France).

Un des grands historiens médiévistes français se penche à son tour sur les meurtres politiques qui jetèrent la France du XVe siècle dans la guerre civile. Pourquoi Jean sans peur revendique-t-il si haut la responsabilité de la mort de Louis d'Orléans, frère du roi ? Comment expliquer la haine, la violence individuelle et collective auxquelles répondent les complots, le guet-apens de Montereau ? Le grand mérite de cet ouvrage, riche et difficile, est de minutieusement décortiquer les débats justificatifs qui suivirent l'assassinat du duc d'Orléans et le meurtre expiatoire de Jean sans Peur. Finalement, le secret de Jeanne d'Arc serait la certitude du pardon accordé à Charles VII pour la tragédie de Montereau, analyse dérivant d'une exégèse peut-être un peu trop littérale d'une phrase tirée du Procès : "elle venait lui donner signe sur ses actes".

La Guerre de 1870/71 et ses conséquences, sous la direction de P. Levillain, R. Riemenschneider, Actes du XXe colloque historique franco-allemand organisé par l'Institut Historique allemand en coopération avec le Centre de Recherches Adolphe Thiers, du 10 au 12 octobre 1984 et du 15 au 15 octobre 1985, Bonn, Bouvier Verlag, 1990, 603 p. (Pariser Historiche Studien, Herausgegeben vom Deutschen Historichen Institut Paris, band 29).

La défaite française de 1870/71 a, on le sait, été suivie d'un renouveau patriotique qui n'a pas toujours été jusqu'au nationalisme. Au nombre des manifestations de l'attachement à la patrie il y a incontestablement la popularité du personnage de Jeanne d'Arc, modèle de résistance à l'occupation ennemie. Dans ce recueil, la contribution de C. Amalvi, "La défaite mode d'emploi, recherches sur l'utilisation rétrospective du passé" (p. 451-464), donne la liste des événements du passé national dont on se servit pour trouver dans la défaite matière à servir de leçons pour l'avenir : la conquête romaine, les invasions barbares, la guerre de Cent Ans, les guerres napoléoniennes. Il était tentant de mettre Crécy, Poitiers et Azincourt en parallèle avec Sedan ! On ne pouvait alors qu'appeler de tout coeur soit la réforme morale qui fera surgir des saints, soit l'ardeur patriotique. Dans les deux cas Jeanne d'Arc était un modèle. A. Le Normand-Romain trace de son côté un très suggestif tableau des monuments commémoratifs (p. 494-505) et surtout funéraires.

La Guerre, la violence et les gens au Moyen Age : t. I, Guerre et violence, sous la direction de Philippe Contamine et Olivier Guyot-Jeannin, Paris, C.T.H.S., 1996, 366 p.

Cet ouvrage est un recueil de travaux réalisés, à partir de sources inédites, sur le Languedoc au XIIIe siècle, sur la guerre en Italie, en Provence et en Normandie à la fin du Moyen Age. Il aborde des thèmes très intéressant tel que l'attitude des écrivains comme Eustache Deschamps face à la guerre, la rançon des prisonniers...
C'est une collection très sérieuse qui s'adresse plutôt aux universitaires spécialisés dans le domaine. Le présent ouvrage comporte des articles français, espagnol et anglais. Ils sont appuyés de notes de bas de pages précises et bien documentées.

La guerre, la violence et les gens au Moyen Age, t. II, La violence et les gens au Moyen Age, Actes du 119e Congrès des Sociétés savantes, Amiens, octobre 1994, Paris, C.T.H.S., 1996, 315 p.

La première section consacrée aux "femmes dans la guerre" compare d'abord les exemples de la Castille et de la France, deux royaumes confrontés à une régence féminine au début du XIIIe siècle. Dans les deux cas les régentes durent assumer des rôles "masculins" : mener des campagnes militaires, garantir des traités de paix. (R. U. Vones Liebenstein). C'est à un personnage plus discuté que Blanche de Castille que s'attaque R. Gibbon en se consacrant à Isabeau de Bavière et son rôle au début de la lutte entre Armagnacs et Bourguignons (1405-1415). Il semble bien que la reine tout en étant au départ favorable à la cause des princes d'Orléans ait tout fait pour maintenir la paix civile en jouant un rôle actif jusqu'à la majorité du dauphin Louis de Guyenne (janvier 1411). Ensuite, remplacée par son fils, elle est provisoirement écartée de la médiation entre les princes.
F. Verrrier a recherché comment les chroniques, journaux et mémoires présentaient les femmes fortes italiennes, "viragos" au sens propre, lors des luttes communales du XVIe siècle entre Florence et ses ennemies Sienne et Pise. Les Pisanes et les Siennoises y acquirent une solide réputation de "combattantes". Cependant il s'agissait de résister à un siège, en des combats uniquement défensifs au cours desquels les tâches féminines se résumaient à porter des munitions et du matériel de réparation des brèches, du travail d'intendance en somme. Dans les textes elles sont cependant comparées à Véturie, la mère de Coriolan, ou à l'inévitable Judith et l'on trouve même à Pise une sorte de milice féminine dotée de vêtements ad hoc, qui tout en aiguisant la verve machiste ouvre cependant aux femmes une part de l'espace masculin. Les autres articles nous intéressent moins directement. On notera toutefois la copieuse contribution de Ch. Ut sur les pays de l'Oise sous la domination anglaise (1420-1435), constituée d'un appareil fort considérable de 273 analyses d'actes de la série JJ des Archives nationales et la transcription de 30 d'entre eux. Nous y trouvons les échos des campagnes des troupes royales de Charles VII autour de Beauvais et les preuves de la désorganisation du temps de guerre.

Histoire des droites en France, sous la direction de Jean-François Sirinelli, Paris, Gallimard, 1993, t. I, Politique, 794 p., t. II, Cultures, 771 p., t. III, Sensibilités, 956 p.

Les trois gros volumes qui composent l'Histoire des droites en France, par leur ampleur, témoignent de la réhabilitation parmi les centres d'intérêt de l'historien de "l'objet politique" (p. VII). L'oeuvre s'offre volontiers comme une "somme des acquis récents de l'école historique française" (p. XXXV), mettant à contribution une équipe de chercheurs venue de divers horizons. La publication de ces cinquante articles aux renvois multiples, gage d'une profonde unité, intervient au moment où l'on s'interroge sur la validité du clivage gauche-droite et veut redonner à cette indéniable actualité l'épaisseur du temps. Le parcours du premier volume offre au lecteur une étude proche des événements qu'enrichissent les volumes II (Cultures) et III (Sensibilités). En se fondant sur les enjeux de l'époque, les auteurs dégagent une ligne de partage dissociant droites et gauches. Les référents communs à la famille des droites, notamment ceux liés à l'histoire, sont analysés dans le volume II, tandis que le volume III s'attache à l'homme de droite envisagé à travers des études s'articulant autour de thèmes tels que la famille, l'éducation, la religion, la vie dans la cité. Un indexage imposant permet un accès facile et invite à d'éventuelles lectures transversales.
L'étude de la figure de Jeanne d'Arc dans la mémoire des droites en est une, particulièrement fructueuse. Autour de l'article synthétique de Ph. Contamine (t. II, pp. 399-436) gravitent un ensemble d'études qui situent Jeanne d'Arc dans des enjeux plus larges, liés à la charnière des XIXe et XXe siècles aux luttes anti-cléricales, au nationalisme. On pourra par exemple lire avec intérêt "Histoire et historiens de droite", rédigé par Olivier Dumoulin (t. II, p. 325-399) qui analyse la progressive autonomie de l'histoire à l'égard du politique, "au prix du rôle social de l'historien" (p. 385).

Histoire des femmes, sous la direction de Georges Duby et de Michelle Perrot, t. II, Le Moyen Age, sous la direction de Christiane Klapish-Zuber, Plon, Paris, 1990, 567 p., ill.

Une étude de la condition féminine, par thèmes et par époques, rendue délicate par le fait que pour les siècles les plus anciens, on n'arrive à définir que le mode de vie des nobles, laïcs ou clercs. Une histoire des paysans en général n'étant pas encore réalisable compte tenu de ce que nous savons, une histoire des paysannes est, a fortiori, impensable. Une conclusion semble néanmoins se dégager : au gré des fluctuations de la liberté d'action des femmes, mieux valait malgré tout être une aristocrate au XIIe siècle qu'une pauvresse au XVIe siècle. Même si le sujet, à la mode, incite à reconsidérer notre façon de penser, il reste malgré tout que la seule façon pour une femme de s'imposer sans contestation aux hommes était d'être une reine ou d'être une sainte.

Histoire militaire de la France, sous la direction d'André Corvisier, P.U.F., Paris, t. I, Des Origines à 1715, sous la direction de Philippe Contamine, 1992, 632 p., ill.

Vaste fresque historique qui s'attache d'ailleurs plutôt à l'étude des structures étatiques et militaires qu'à "l'histoire bataille", ce que son titre pourrait faire croire. Ce livre passe en revue, période par période, les efforts, à vrai dire irréguliers, de la royauté française pour se doter d'une force armée supérieure à celle de ses adversaires potentiels. La première impression qui se dégage de ce livre est que la royauté française n'est pas d'essence militaire ; même si elle fut la première à se doter d'une armée permanente, elle ne prend que rarement l'offensive, et dissout ses troupes dès que le danger est passé. D'où de continuels retours en arrière, d'autant plus que le danger est polymorphe, le jeu des alliances faisant que l'Angleterre, l'Espagne, l'Empire germanique, sont tantôt des alliés, tantôt des ennemis, ce qui oblige sans cesse à parer au plus pressé sur des fronts divers. Il n'était pas possible humainement ou financièrement de fortifier toutes les frontières, d'ailleurs changeantes, tout en maintenant une flotte et une armée puissantes, d'où les aléas d'une marine de guerre, sans cesse renaissante et toujours abandonnée, on pourrait dire depuis Charlemagne.
La partie consacrée à la guerre de Cent Ans montre avec quelle facilité l'Angleterre, capable d'une meilleure mobilisation de ses forces, dotée d'une puissante marine, d'une armée aguerrie et disciplinée, pouvait vaincre militairement le royaume de France, souvent paralysé par des désordres internes ou des guerres civiles. Face à cet état de fait, la riposte fut surtout économique : fortification de tout ce qui pouvait être défendu, destruction du reste, recours systématique aux mercenaires étrangers, mise sur pieds d'une armée permanente, enfin, sous Charles VII, création d'un redoutable parc d'artillerie.

Honneur de la couronne de France, quatre libelles contre les Anglais (vers 1418-vers 1429), éd. Nicole PONS, Paris, Klincksieck (Société de l'Histoire de France), 1990, 221 p.

Quatre courts textes (deux en latin et deux en français), offrent des exemples, moins rares qu'on le croit, de littérature de propagande de guerre française à l'usage du public, certes assez restreint, des gens qui lisaient. Il s'agit évidement de prouver le bon droit de la cause française. Les Débats et appointements (1418-1419), assez solidement étayés sont un raccourci historique justifiant la fidélité au roi français. Super omnia vincit veritas, suivi de Réponse d'un bon et loyal François (1419) proviennent du Parlement de Poitiers et reflètent les arguments des milieux demeurés envers et contre tout fidèles au dauphin. Le dernier, Fluxo biennali spacio (avant 1430) n'est qu'un brouillon présentant une démonstration de la légitimité du roi de France - Charles VII évidement.

HOROWITZ (J.), MENACHE (S.), L'humour en chaire, le rire dans l'Eglise médiévale, Genève, Labor et Fides, 1993, 287 p.

Sommes nous sur terre pour rire ou pour pleurer sur nos péchés, telle est la question à laquelle saint Jean Chrysostome répondait : "pour pleurer". Les théologiens ont, jusqu'au XIIIe siècle, beaucoup insisté sur le non-rire, tandis que l'église tolérait la soupape du carnaval et pratiquait, semble-t-il, déjà l'humour dans les sermons.
A partir de la prédication des Frères mendiants, le rire, ou le sourire, deviennent des procédés rhétoriques assez systématiques : il s'agit de réveiller l'auditoire, de le faire réfléchir et surtout de l'aider à mémoriser l'enseignement de la morale. En effet, aussi bien en fustigeant la conduite des prêtres négligeants que celle des religieux hypocrites, en dénonçant les femmes coquettes et les maris brutaux, le rire visait à inculquer une morale du comportement envers les autres, conforme à l'idée que l'on se faisait du projet de Dieu. En attendant, la religion prenait parfois un visage moins sévère ! On s'est souvent demandé quelle était la pédagogie pastorale des prêtres qui ont aidé à former la personnalité religieuse de Jeanne d'Arc. Sa foi et son comportement sont très visiblement pétris de confiance et d'humour, fruits d'un tempérament, certes, mais qu'un enseignement a pu aider à s'épanouir. C'est une question que les auteurs n'ont pas posée.

JACKSON (R. A.), Vivat Rex. Histoire des sacres et couronnements en France 1364-1825, publié avec le concours de l'Université de Houston et de la Minnie Stevens Piper Foundation, Association des publications près les Universités de Strasbourg, diffusion éd. Ophrys, 1984, 238 p.

Il ne faut pas hésiter à souligner tout l'intérêt de ce petit livre érudit et passionnant. Bien au-delà de la cérémonie et des objets du sacre présentés lors d'une exposition remarquable du Louvre en 1990-1991, l'auteur cherche à percer les implications profondes de l'onction royale. On retiendra particulièrement la très fine analyse de la notion du serment par lequel le roi aurait juré de ne jamais aliéner "la souveraineté, les droits et la noblesse de la couronne", et dont Jackson montre qu'elle est née de la question de l'Aquitaine après le traité de Brétigny (1360).
Par dessus tout ce brillant essai est une remarquable étude sur l'élaboration de la religion royale caractéristique de l'absolutisme d'Ancien Régime.

JACOB Robert, Les époux, le seigneur et la cité, Coutume et pratiques matrimoniales des bourgeois et paysans de France du Nord au Moyen Age, Bruxelles, 1990, (Publications des Facultés universitaires Saint-Louis 50), 468 p.

Il s'agit d'une thèse d'histoire du droit, fondée sur une documentation exceptionnelle, celle du Douaisis. L'idée de départ était de chercher s'il y a une histoire parallèle des humbles et des nobles, des possédants et des dépendants dont les pratiques matrimoniales seraient l'un des révélateurs. L'ouvrage est ici consacré aux roturiers. L'étude des ménages de Douai montre une évolution qui va du début du XIIIe siècle où les ménages pratiquent la coutume des dons réciproques de leur vivant et les legs au survivant, usage qui place au premier plan la "conjugalité", jusqu'à la fin du XVe siècle, quand la famille passe au premier plan, instaure le régime dotal (vers 1375), puis le douaire coutumier (v. 1440). L'auteur voit dans cette évolution, qui avec d'infinies variations dans le temps, finit par se répandre dans le plat pays et dans d'autres cités de la région de coutume "picarde-wallonne", la conséquence de l'influence nobiliaire, certes, mais aussi l'impact de l'insécurité de la fin du Moyen Age. Il fallait assurer aux femmes et aux enfants, comme aux survivants des lignages, la sécurité des héritages.
Les connaisseurs du droit, de plus en plus nombreux, ont aidé les familles anxieuses à trouver des solutions, rien d'étonnant à ce que ces dernières, fondues dans des moules voisins, aient présenté une certaine parenté avec celles pratiquées par la noblesse.

KEEGAN (J.), Anatomie de la bataille, Paris, R. Laffont, 1993, 324 p.

Le livre de Keegan poursuit deux buts : comprendre quelle pouvait être la perception individuelle que les combattants purent avoir de trois batailles : Azincourt, Waterloo, la Somme, et savoir quelle était leur efficacité personnelle et celle de leurs armes. Les conclusions sont extrêmement intéressantes, même si elles ne sont pas révolutionnaires : les conflits modernes sont plus meurtriers, parce que les armes sont plus efficaces, certes, mais ce qui est mis en évidence dans cette étude, c'est que, même au Moyen Age, une proportion importante des combattants ne voyait pas l'ennemi, et qu'un quart seulement peut-être avait l'occasion d'utiliser ses armes. La confrontation directe, homme à homme, est en fait assez rare, tout simplement parce que les soldats répugnent à s'approcher de l'ennemi à moins d'une "distance critique" d'environ 40 m, les corps à corps étant donc peu fréquents, générés presque uniquement par des rencontres fortuites et par des mouvements de foule. C'est surtout l'ennemi blessé qu'on tue, l'ennemi en fuite que l'on attaque. C'est en effet parfaitement conforme à ce que l'on peut savoir des faibles pertes chez les vainqueurs des conflits médiévaux, encore qu'il ne faille pas sans doute s'exagérer la répugnance des combattants à aller "au contact", poussés par une émulation basée sur la crainte d'être mis au ban de la société.
Si intéressant qu'il soit par ailleurs (le chapitre sur Waterloo se dévore comme un roman), force est de constater que le livre n'apporte pas grand chose sur Azincourt. A cela une raison principale : la bibliographie est généralement ancienne, et remonte parfois jusqu'en 1832. Tous les renseignements fournis par les chroniqueurs ne sont pas pris en compte, notamment la mention par le chroniqueur Lefèvre de Saint-Rémy (qui participa au combat du côté anglais) d'une quatrième ligne de bataille française, qui n'est pas mentionnée par Keegan. La raison secondaire est un évident parti-pris, qui aboutit à un contresens total. Retraçant les différents épisodes de la bataille, Keegan analyse le massacre des premiers prisonniers français en découpant l'événement en séquences : l'ordre donné par Henri V, le premier refus des Anglais, la désignation d'un peloton d'égorgeurs, mais il décide à ce moment que, l'exécution de masse d'hommes désarmés étant un exercice difficile, la massacre n'a pas pu avoir lieu. Voilà pour le moins un commentaire de texte original dans ses conclusions, puisque elles contredisent les textes d'origine. Concluons donc que le chapitre concernant Azincourt n'apporte rien : Keegan pose un certain nombre de questions (encadrement des archers, densité des pieux dressés contre les chevaux, etc.), mais il ne peut pas y répondre, vu le laconisme des sources. Quand le massacre des prisonniers français le gène, il ne cherche même pas à l'excuser mais le nie froidement, accumulant pour ce faire une batterie d'hypothèses gratuites sans plus du tout se référer aux textes. Ses sources d'information étant trop anciennes et fragmentaires, son récit n'apporte même pas tous les éléments qu'on serait en droit d'attendre d'un livre récent. L'ensemble laisse l'impression que la réputation du roi Henri V est encore de grande importance outre-Manche, même au prix d'atteintes à la réalité historique. Cela est d'autant plus curieux que, même en France, on a tendance à considérer qu'il était tout à fait logique, et même encore assez conforme aux usages du temps, que Henri V ait ordonné d'exécuter ses prisonniers, ayant vu ses troupes embarrassées par leur grand nombre alors qu'elles étaient sur le point d'être attaquées par la quatrième ligne française. Mais il est vrai que Keegan semble justement ignorer l'existence de cette quatrième ligne.