Les étendards de Jeanne

1990

Les étendards à l'époque de Jeanne d'Arc
Les témoignages écrits
Reconstitution de l'étendard
Les représentations et reconstitutions postérieures

 

"Et a Hauves Poulnoir, paintre demorant a Tours, pour avoir paint et baillé estoffes pour ung grant estendart et ung petit pour la Pucelle, 25 livres tournois".

13e compte de Hémon Raguier, trésorier des guerres de Charles VII.

Jeanne, envoyée à Tours par le roi pour y prendre livraison de son armure, et demeurant dans la ville du 5 au 21 avril 1429, avant de se diriger vers Orléans, se fit faire deux enseignes. Le "petit étendard" désigné dans le compte fut accidentellement brûlé au moment de l’entrée de Jeanne à Orléans. On ne sait s’il fut refait. Le grand étendard disparut au moment de la capture de Jeanne par les Bourguignons à Compiègne, il n’a pas été vu par Pierre Cauchon, qui en fit faire la description par Jeanne au cours de son procès.

Cet étendard a excité la curiosité des érudits et des passionnés de l’histoire de Jeanne d’Arc des reconstitutions en ont été faites à l’occasion de diverses manifestations ou pour le tournage des nombreux films consacrés à l’héroïne.

La présente exposition se propose de replacer ces tentatives de reconstitution dans le cadre des étendards, des témoignages et de l’iconographie de l’époque.

Il n’existe aucune représentation de l’étendard qui soit dessinée par un témoin oculaire, et les témoignages sont souvent incomplets ou contradictoires. La comparaison avec les étendards contemporains de Jeanne nous apportera des indications sur la façon dont les différents motifs décrits ont pu être disposés. Jeanne ayant déclaré que les anges étaient peints “tielz en la maniere qu’ils sont pains es eglises”, on s’appuiera également sur les restes de l’imagerie religieuse du XVe siècle pour cette reconstitution.

Les étendards à l’époque de Jeanne d’Arc

De tout temps les troupes se sont regroupées autour d’un emblème signalant la présence du chef de l'armée. Héritier lointain des enseignes carolingiennes, l’étendard de la France capétienne est avant tout le symbole des rois. Les barons se distinguent par leur gonfanon. Au XIIIe siècle, avec la généralisation des armoiries, apparaissent les pennons, réservés aux chevaliers, et les bannières, qui remplacent les gonfanons aux mains des barons.

La première codification parvenue, les "Siete partitas" du roi Alphonse X de Castille (1252-1284), montre une organisation très hiérarchisée :

- Rois et empereurs ont seuls droit à porter l’étendard, pièce de tissu carrée, décorée des armes de leur royaume.

- Les barons suivis de plus de cent chevaliers et les contingents des cités portent l’enseigne capitaine, drapeau carré terminé par trois queues rectangulaires.

- Les barons suivis de 50 à 100 chevaliers portent le "pendon posadero", drapeau triangulaire qui donnera naissance au pennon.

- Les seigneurs suivis de 10 à 50 chevaliers portent la bannière, rectangle de tissu plus haut que large.

- Les seigneurs suivis de 2 à 10 chevaliers portent une banderole étroite terminée par deux queues rectangulaires. En France, à la même époque, les petits seigneurs royaux portent le pennon ou pennoncel, en forme de bannière coupée en diagonale. Il est à noter que le mot "drapeau" n’a pas, au Moyen Age, le sens que nous lui donnons actuellement, mais celui de pièce d'étoffe.

En 1351, une ordonnance royale établit que le pennon doit être porté par des compagnies de 30 à 35 piétons, ou par un chevalier. L’étendard, désormais également porté par les princes de la famille royale, est reproduit en de nombreux exemplaires et mis à la tête de troupes et des subdivisions de troupes.

En 1444, un chroniqueur, Antoine de la Sale, établit le tableau suivant :

- Rois et princes portent à la fois l’étendard, long triangle fendu de deux queues, la bannière carrée et le pennon.

- Les marquis, comtes, vicomtes, barons et chevaliers bannerets portent la bannière rectangulaire. Comme ils sont également chevaliers, ils portent à titre personnel leur pennon.

- Les chevaliers portent le pennon, triangulaire. On peut passer du rang de chevalier à celui de banneret à condition de posséder un château entouré de 25 feux, et en s’entourant de six bacheliers (c'est-à-dire qu'ils ne portent pas de bannière et ne sont donc pas banneret) ou de 50 hommes d'armes. Le maréchal coupe alors symboliquement la queue du pennon pour le transformer en bannière.

Ce système, dont la décoration est strictement héraldique, est organisé en fonction de la hiérarchie de la noblesse. Il est à noter que sur les bannières les armes sont disposées parallèlement à la hampe, alors que sur les étendards, elles sont disposées de façon transversale, la hampe formant le “haut” de l’enseigne.

A partir de 1384, un nouveau système d’enseigne se superpose au premier : Charles VI fait figurer sur son étendard personnel, un cerf ailé, et des anneaux, sur fond rouge.

A l’exemple du roi d’autres grands seigneurs vont faire peindre ou broder des étendards décorés de leur saint patron. Le choix de la figure est libre, quoique principalement à caractère religieux. Au cours de la guerre civile entre Armagnacs et Bourguignons, les princes reprendront quelquefois les insignes de parti dont ils ornent leurs palais, leurs livres et les vêtements de leurs partisans. Le duc Louis d’Orléans ayant adopté le bâton noueux, symbole de ses amicales dispositions envers le duc de Bourgogne, ce dernier prit pour emblème le rabot et deux bâtons lisses en forme de croix de saint André. En novembre 1407 le “bâton noueux était plané” : le duc Louis d’Orléans était assassiné sur ordre de son cousin Jean sans Peur. Quatre ans plus tard, avant de se mettre en campagne contre l’assassin de son père, Charles d’Orléans fit peindre des enseignes d’un nouveau type : 4200 pennons “de sable” (noirs) portant le mot “Justice”. Ces pennons avaient pour fonction de signaler à quel camp appartenaient les combattants de son armée.

Ces deux types d’enseignes, à motif religieux et à devise politique, se combinèrent pour donner naissance à des étendards qui sont à la fois des programmes politiques et des insignes de parti. Les chefs secondaires, parfois bien en peine de produire des armoiries authentiques, ajoutent en effet sur les queues de leurs étendards les emblèmes de leur maître. Chaque étendard est doublé d’un pennon, porté par le chef de la troupe, voire par un page, et dont la décoration est pratiquement identique à celle de l’étendard. Visiblement le pennon ne sert plus à indiquer le rang de son propriétaire, mais doit servir à transmettre des ordres de manoeuvre à la troupe.

Chaque compagnie peut ainsi se trouver dotée de trois drapeaux : l’étendard du roi ou du prince, l’étendard de la compagnie, le pennon de son capitaine, ces deux derniers reprenant dans leurs queues les composantes de l’étendard princier.

Au sein de ce système, la hiérarchie est marquée par la taille des enseignes : la bannière impériale mesure ainsi six pieds carré, soit à peu près 2 mètres sur 2,30 mètres. Celle d’un banneret ne mesure que deux pieds carré, soit un peu plus de 60 centimètres sur 80. Les étendards royaux mesurent cinq aunes de long, soit près de six mètres, alors que ceux des capitaines ne sont que de trois aunes, soit environ 3,50 mètres pour 80 centimètres de haut. Ils sont fendus sur le quart et jusqu’à la moitié de la longueur. Le pennon d’un chevalier est pour sa part plus grand que celui d’une compagnie de piétons. Cette grande disparité de taille et d’organisation facilite évidemment les confusions, les témoins pouvant confondre, à distance, pennons et étendards.

Les motifs et devises se lisent de la hampe vers la pointe. Pour cette raison les enluminures représentent les étendards de face dans la plupart des cas, c'est-à-dire la queue tournée vers la droite de la page. Sur le revers, la devise se lit en effet de droite à gauche, les surfaces peintes devant se superposer dans la mesure du possible. Le motif du revers peut différer de celui de la face, à condition d’occuper à peu près la même surface, et d'être brodé, en effet, la peinture étant bue par le tissu, il n'est pas possible de peindre des motifs différents sur les deux faces.

On verra que l’étendard de Jeanne est conforme à ces dispositions. Au milieu du XVe siècle, le mot étendard est remplacé par celui d’enseigne pour les cavaliers, par celui de guidon pour les gens de pieds, l’appellation étendard étant de nouveau réservée à l’emblème du prince.

Les témoignages écrits

On peut expliquer les incertitudes et les contradictions des témoignages par la position ordinaire de l’étendard enroulé autour de sa hampe. On ne le déploie en effet qu’au moment des combats. Déroulé, l’étendard n’est pas pour autant plus lisible, car il pend le long de la hampe, les queues étant retenues par la main du porte-étendard, ou reposant sur ses épaules. Le motif le plus apparent est donc situé dans le premier tiers de l’étoffe, exception faite de la zone immédiatement au contact de la hampe, où se forme un pli.

Il s’en faut pourtant de beaucoup que même le motif le plus apparent ait été correctement identifié par les témoins, et que l’information ait été fidèlement transmise. De plus, il ne faut pas oublier que nous avons affaire aux deux faces de deux étendards de tailles diverses, c'est-à-dire un étendard et un pennon, et que ces deux enseignes ont pu être confondues entre elles.

Les témoignages qui suivent sont ceux des contemporains de Jeanne. Elle-même a décrit son étendard au cours de son procès à Rouen. Mais visiblement l’étendard lui-même était resté aux mains des Bourguignons, et Jeanne a éludé bon nombre de questions embarrassantes sur les motifs qui le décoraient. Par ailleurs tous les textes cités n’ont pas été écrits par des témoins oculaires, le ouï-dire ayant joué là le rôle d’un filtre parfois très sélectif.

Les témoins sont cités dans l’ordre chronologique

- Clément de Fauquembergue, le 10 mai 1429, à l’annonce de la levée du siège d’Orléans, fait un croquis représentant la Pucelle. Ce n’est pas un témoin oculaire car il se trouve alors à Paris. Il représente l'étendard avec la simple devise "IHS".

- Le Bourgeois de Paris, auteur anonyme, se prête aux mêmes remarques que Fauquembergue. Il écrit dans son Journal, pour le mois de mai : “et partout alloit celle Pucelle armee avec les Arminaulx et portoit son estandart ou estoit seulement escript Jhesus”. Il a visiblement bénéficié du même informateur que Fauquembergue ; il est à noter que lorsque Jeanne fera son apparition sous les murs de Paris en août-septembre 1429, il ne fera pas de description de l’étendard : il n’est donc pas à compter au nombre des témoins oculaires.

- Le greffier d’Albi, en mai 1429, n’a pas non plus vu Jeanne d’Arc. Il écrit (le texte est traduit) : “Elle se met en premier lieu à cheval, toute couverte d’une armure blanche en fer, de la tête aux pieds ; et elle tient son étendard dans lequel était Notre-Dame”. En l’occurrence c’est du pennon dont il s’agit. - Antonio Morosini, marchand italien, fait état d’une lettre datée du 9 juillet 1429, (le texte est traduit) : “Elle porte aussi un étendard blanc sur lequel est notre Seigneur en manière de trinité, d’une main il tient le monde et de l’autre il bénit, et par chacun côté est un ange, qui présente deux fleurs de lys, de telle couleur que les portent les rois de France". Il s’agit là d’un témoignage fiable, mais Morosini ne prétend pas avoir vu la Pucelle.

- Jeanne elle-même, au procès de condamnation, qui nous est parvenu à la fois par les minutes françaises et le texte latin, déclare : Le 27 février 1430 (traduction) : “Interrogée si, lorsqu’elle vint à Orléans, elle avait une enseigne, en français estandard ou bannière, et de quelle couleur il était, elle répond qu’elle avait une enseigne dont le champ était semé de lys, et il y avait là le monde figuré et deux anges sur les côtés, et il était de couleur blanche, de toile blanche ou boucassin, et étaient là ces devises : Jhésus Maria, ainsi qu’il lui semble, et les franges étaient de soie”. Le 10 mars (minute française) : “Interroguee se en iceluy estaindard, le monde est painct et ses deux angles : repond que saincte Katherine et saincte Marguerite luy dirent qu’elle prinst hardiement et le portast hardiement et qu’elle f ist mectre en paincture là le roi du Ciel... et de la signifiance ne sait aultrement”.

Le 17 mars, dans l’après-midi : “Interroguee se ses deux angelz qui estoyent painctz en son estandard representoyent sainct Michiel et sainct Gabriel : respond qu’ils n’y estoient fors seulement pour l’onneur de Nostre Seigneur, qui estoit figuré tenant le monde.

Interroguee se ces deux angles, qui estoient figurés en l’estaindart estoient les deux angles qui gardent le monde, et pourquoy il n’y en avoit plus, veu qu’il luy estoit commandé par Nostre Seigneur qu’elle painst cel estaindard : respond tout l’estaindard estoit commandé par Nostre Seigneur, par les voix de sainctes Katherine et Marguerite qui luy dirent : pren l’estaindart de par le roy du Ciel, et pour ce qu’ilz luy dirent : pren l’estaindard de par le roy du Ciel elle y f ist faire celle figure de nostre Seigneur et de deux angles et de couleur et tout le f ist par leur commandement”. Il s’agit là évidemment d’un témoignage de première main, mais singulièrement discret. Jeanne insiste habilement sur le fait que le “Seigneur” figuré tient le monde, ce qui est habituellement l’apanage de Dieu le Père, elle insiste aussi sur l’identité des archanges, saint Gabriel, dont l’attribut est une fleur de lys, et saint Michel, dont l’attribut est une épée. Elle peut ainsi faire croire à ses juges qu’il s’agit d’une représentation “neutre” de Dieu. En fait les conventions iconographiques sont suffisamment élastiques pour que cette description convienne également au Christ du jugement dernier, entouré de l’ange de la justice et de l’ange de la miséricorde.

- Le greffier de La Rochelle écrit en 1431 : “et fit faire au dit lieu de Poitiers son estandart auquel y avoit un escu d’azur et un coulon blanc dedans icelluy estoit, lequel tenoit un role en son bec ou avoit escrit “de par le roy du ciel”. Ce témoignage assez peu fiable pourrait ne concerner que la pointe du pennon (pour l'écu), avec une colombe figurant dans les scènes de l'Annonciation, mais avec une mention généralement différente : Ave Maria, gratia plena. L’inscription n’est en tout cas pas celle de l’étendard.

- La Chronique des cordeliers, rédigée en 1431, rapporte les faits suivants : “Et en celle assemblee se bouta et mist la dite pucelle et leva ung estandart ou elle f ist mettre JHS”. Il s’agit là d’une chronique rédigée à partir des mêmes sources que Fauquembergue et le Bourgeois de Paris.

- Chronique de Perceval de Cagny, rédigée en 1438 : “Elle fist faire ung estandart ouquel estoit l’image de Notre-Dame et print un jour de soy trouver a Blois”. Il s’agit là d’un témoin oculaire, écuyer du duc d’Alençon qui se trouvait à Blois pendant la campagne d’Orléans. C’est le pennon, brûlé à l’entrée d’Orléans, qui est décrit.

- Lettre de Eberhard Windecke, compilée en 1440 (traduction) : “Et la jeune fille partit avec sa bannière qui était faite de soie blanche, et y est peint notre Seigneur Dieu, comme il est assis sur l’arc-en-ciel et montre ses plaies, et de chaque côté un ange qui avait un lys dans la main”. Un témoignage qui se rapproche beaucoup de celui de Morosini.

- Le doyen de l’église Saint-Thiébaud de Metz, qui n’est pas un témoin oculaire, écrit en 1445 : “En 1428 elle chevauchoit en armes moult hardiment et portoit lés une moult grosse lance et une grande espee et faisoit porter appres elle une noble banniere paincturee de la benoite Trinité et de la benoite vierge Marie”.

- Dans sa chronique, qu’il rédigea jusqu’à sa mort en 1453, Enguerrand de Monstrelet écrit : “Et esleva un estendart ou elle f ist pindre la representaciofl de nostre Createur”. Monetrelet est un partisan du duc de Bourgogne qu’il accompagna à Compiègne, il était présent lorsque Jeanne fut amenée, prisonnière, devant le duc, mais sur ce point sa relation est très succincte.

- Jean Pasquerel, aumônier de la Pucelle, témoigna en 1455 au procès de nullité de la condamnation de Jeanne d’Arc. L’original est en latin “Les envoyés de son seigneur, c’est-à-dire de Dieu, qui lui apparurent l’informèrent d’avoir à entrer en action et lui dirent de prendre l’étendard de son seigneur. Et pour cela, Jeanne elle-même fit faire son étendard dans lequel était peinte l’image de Notre Seigneur assis en jugement sur les nuées du ciel. Et un ange était peint tenant en ses mains une fleur de lys que bénissait l’image. Et le déposant se trouvait à Tours quand cet étendard y fut peint”. Encore un témoin oculaire, très bien renseigné. Mais 25 ans ont passé depuis la capture de Jeanne, et les souvenirs semblent un peu émoussés, entre autre lorsqu'il ne dit pas un mot du pennon ; c’est encore plus net dans le cas du témoin suivant.

- Jean, comte de Dunois, laisse à penser que son éducation religieuse fut peut-être un peu négligée lorsqu’il déclare lors du même procès : “Et alors Jeanne elle-même vint avec le dit seigneur déposant, portant à la main son étendard qui était blanc, et dans lequel était la figuration de Notre Seigneur tenant dans sa main une fleur de Lys”. Contrairement à Pasquerel, Dunois n’a pas identifié la scène peinte sur l’étendard, mais il confirme la présence d’une fleur de lys (présentée par un ange) à la droite du Christ.

- Poème latin anonyme, joint aux pièces justificatives du procès en nullité de la condamnation (traduction) :
“Je porterai un étendard orné de l’image du roi du Ciel Des fleurs de lys du royaume fleuriront tout autour”.
Il est difficile de savoir s’il s’agit d’une allégorie de la restauration du royaume ou de la description de l’étendard, manifestement inspirée des témoignages précédents.

- Chronique de Tournai, rédigée en 1455 : “Et adonc elle se partit du dit Blois, aians son estandart de blancq satin, ouquel estoit figuré Jhesu-Crist seand supz le arche, montrant ses plaies, et a cascun lez, ung angel tenant une fleur de lis”. Encore un témoignage qui semble puisé aux mêmes sources que Morosini et Windecke.

- Jean de Wavrin, seigneur du Forestel, dans ses Chroniques rédigées vers 1460, copie Enguerrand de Monstrelet dans le passage consacré à Jeanne, il n’est pas, lui, un témoin oculaire, bien qu'il ait accompagné Fastolf sur le champ de bataille de Patay, mais Jeanne se trouvant à l'arrière-garde de l'armée française, il ne l'a certainement pas vue d'assez près pour faire la moindre description intéressante.

- Le journal du siège d’Orléans se compose d’un journal au jour le jour des petits événements du siège, compilé en 1467 avec une relation de l’histoire de Jeanne : “Et faisoit porter devan elle son estandard, qui estoit pareillement blanc, ouquel avoit deux anges tenan chacun une fleur de liz en leur main, et ou panon estoit painte comme une Annonciation, c’est l’image de Nostre-Dame ayant devant elle ung ange luy presentant ung lis”. Relation qui pourrait être celle d’un témoin oculaire, c’est en tout cas le seul cas où l’étendard soit clairement distingué du pennon.

- Chronique de la Pucelle, par Guillaume Cousinot, datant de 1467 : “Et elle venue a Blois a peu de gent sejourna illec par aucuns jours lesquelx pendans elle f ist pourtraire la représentation de Saint Sauveur et de deux anges et le dit estendart avec tout son harnois fist beneistre en l’église Saint-Sauveur de Blois”. Un témoignage dans l’ensemble assez succint.

- Le Mystère du Siège d’Orléans est une gigantesque pièce de théâtre, de plusieurs milliers de vers. Un noyau ancien semble avoir été rédigé vers 1429 par un auteur local, mais il fut repris vers 1470 et ne semble pas avoir été joué dans sa forme définitive. Le passage suivant est formé par les vers 10539-10544 :

“Un estendart avoir je vueil
Tout blanc sans nulle autre couleur
Ou dedans sera un soleil
Reluisant ainsi qu’en chaleur
Et ou milieu en grant honneur
En lectre d’or escript sera
Ces deux mots de digne valleur
Qui sont cest Ave Maria
Et au dessus notablement
Sera une majesté
Pourtraite bien et jolyment
Faicte de grande auctorité
Aux deux coustez seront assis
Deux anges que chascun tiendra
En leur main une fleur de liz
L’autre le souleil soutiendra”.

Un témoignage très intéressant, mais qui suggère par une erreur de lecture (AVE au lieu de JHS) qu’il s’agit d’une compilation de textes écrits. D'autre part, peut-être pour des raisons de rime, l'auteur a remplacé la mandorle qui entoure normalement le Christ dans l'iconographie médiévale par le mot "soleil". Enfin, il est peu probable que les mots Avé Maria, qui sont liés àla présence de la Vierge, se trouvent écrits à l'intérieur d'une scène représentant le Christ.

Reconstitution de l'étendard

Il semble pratiquement acquis que l’étendard de Jeanne portait sur le premier tiers, près de la hampe, la figure du Christ de l’Apocalypse, entouré des anges de justice (saint Michel) et de miséricorde (saint Gabriel). L’ange de miséricorde, avec la fleur de lys, se trouve à la droite du Christ, ainsi qu’il ressort des dépositions de Pasquerel et de Dunois. La présence d’un second ange tenant une fleur de lys, malgré les nombreux témoignages en ce sens, contredit à la fois la description de Jeanne et l’iconographie courante de l’Apocalypse, ou le Christ est la plupart du temps entouré de deux anges armés d’épées, parfois d’une épée et d’une fleur de lys, mais jamais de deux fleurs de lys. Il semble donc raisonnable de mettre une épée dans les mains de l’ange à la gauche du Christ.

La devise Jhesus Maria est attestée par Jeanne, et par le journal du siège, mais aussi en partie par la source commune à Clément de Fauquembergue et consorts. Il est curieux que ni Pasquerel ni Dunois n’aient gardé le souvenir de la devise, qui est pourtant la première à avoir été remarquée. L’unique témoignage contradictoire, par le greffier de La Rochelle, concerne le pennon, à moins qu’il ne fasse référence aux propres paroles de Jeanne, telles qu’on les retrouve dans le procès.

Les fleurs de lys se retrouvent seulement sur les queues de l’étendard, ce qui est leur position probable en tant qu’insigne de parti. Il est possible que le fonds des queues ait été bleu, pour reprendre complètement la disposition des armes du royaume. Il existe d’ailleurs des exemples d’étendards où la couleur des queues diffère de celle de la figure et de la devise, mais aucun témoignage ne vient rendre probable cette possibilité dans le cas de l’étendard de Jeanne. Il est juste de dire que le seul témoignage qui vient l'infirmer, le Mystère du siège, est très tardif et peut-être altéré par des nécessités d'ordre poétique.

Le revers reprend dans ses grandes lignes la disposition de la face, mais à l'envers. D’après le témoignage di greffier de la Rochelle on y représente habituellement - mais sans doute à tort - un écu de France entre deux anges au lieu de la mandorle et du Christ. Ce type de motif - un écu tenu par deux anges - est attesté à plusieurs reprises, et il a en plus l’avantage de reprendre une tradition très répandue à l’époque, selon laquelle la bannière d’azur à trois fleurs de lys aurait été crée par Dieu lui-même et apportée à Clovis par l’intermédiaire d’un ange. Mais si des étendards à faces dissemblables semblent avoir existé, ce n'est pas possible dans le cas d'un étendard peint. Le problème réside dans le fait que le greffier de la Rochelle mentionne également une devise qui ne peut pas se trouver au revers de l’étendard, et une colombe, qui ne se trouve pas dans l'iconographie du Christ, sauf quand il est représenté avec le Père et le Saint Esprit, ce qui n'est pas le cas ici. Il faut donc en conclure que le greffier de la Rochelle décrivait en fait le pennon.

Le pennon porte donc de façon presque assurée une Annonciation. La présence de cette même scène sur un pennon plus tardif permet de suggérer que l’archange Gabriel se trouvait près de la hampe. Le greffier de la Rochelle suggère qu’au pennon la devise était “De par le Roi du Ciel”, même si on s'attendrait plutôt à trouver “Jhesus Maria” comme sur l'étendard. Il s'agit donc plus probablement de la devise décorant le phylactère présenté à la Vierge par la colombe de l'Esprit-Saint. La queue du pennon devait être bleu-azur, selon le même document, et décorée de trois fleurs de lys. Il s'agit donc d'une sorte d'étendard en plus petit, avec une Vierge et un seul ange au lieu de la scène de l'Apocalypse. Les éléments communs (archange Gabriel prêt de la hampe, "cir de guerre" Jhesus Maria et armoiries royales à l'estrémité) expliquent que l'étendard et le pennon aient été souvent confondus.

Les différentes images permettent de se faire une idée de l’iconographie de l’époque. Parmi ce qui nous en est parvenu, les motifs de la tenture de l’Apocalypse d’Angers ont été choisi pour figurer sur l’étendard, pour leur proximité du lieu et du moment de fabrication des emblèmes de Jeanne d’Arc. Les caractères de la devise sont inspirés de ceux d'une bannière du duc de Bourgogne, qui est exactement contemporaine.

Quel que soit le soin apporté à cette reconstitution, il n’en reste pas moins que les versions proposées ne peuvent prétendre être l’image fidèle des étendards de Jeanne, les différents textes contenant, par delà cinq siècles d’oubli, assez d’imprécisions pour permettre plusieurs conceptions de l’original. Enfin, aucune autre oeuvre de Hauves Poulnoir n’ayant été identifiée, il est tout simplement impossible de prétendre pouvoir recréer à l’identique des motifs aussi complexes et aussi dépendants du talent du peintre que ceux qui décorent l’étendard. La reconnaissance de Jeanne envers Poulnoir, qui ne se démentit jamais et l’amena à intervenir à plusieurs reprises auprès de la ville de Tours pour que la fille du peintre soit richement dotée, suggère que la peinture était une réussite. Ce chef d’oeuvre a disparu quelque part autour de Compiègne, sans qu’il en reste rien.

Les représentations et reconstitutions postérieures

Après le croquis de Clément de Fauquembergue en 1429, il semble qu’il faille attendre 1440 pour voir figurer à nouveau l’étendard sur des enluminures datées avec certitude. C’est d’ailleurs l’étendard du royaume qui est représenté. L’enluminure suivante, datée de 1501, met dans les mains de Jeanne un drapeau rouge, peut-être inspiré de l’oriflamme de Saint-Denis. On sera donc amené à se méfier des documents de dates incertaines qui reproduiraient de façon très détaillées l'étendard de Jeanne, avec des détails qui ne furent en fait vulgarisés qu'en 1849.

C’est en effet surtout après la publication des sources de l’histoire de Jeanne d’Arc, réalisée de1843 à 1849 par Jules Quicherat, que l’étendard de Jeanne devient une source d’inspiration pour l’iconographie : on le dessina, on en fit des reconstitutions, il apparut au cinéma. Le mouvement est lancé au milieu du XIXe siècle avec l’apparition de la première “bannière de Jeanne d’Arc” à Orléans.

C’est en 1855 que fut réalisée la première reconstitution, à l’occasion des fêtes accompagnant l’inauguration de la statue de Foyatier. Elle était en soie blanche, en forme de bannière de procession. Elle s’inspirait surtout des témoignages de Jeanne et de Pasquerel, et n’était pas décorée au revers. En 1876 on en refit une autre sur le même modèle, qui fut déposée aux Invalides.

Ces deux bannières inspirèrent les illustrateurs des livres consacrés à Jeanne d’Arc jusqu’en 1858. A partir de cette date apparurent sur le marché la tapisserie dite d’Azeglio, trois miniatures représentant Jeanne à l’étendard, et une miniature inspirée par la tapisserie d’Azeglio, à moins que ce ne soit la tapisserie qui ait été copiée sur elle. Elles ont pour point commun d’avoir été découvertes entre Lucerne et Strasbourg à peu d'années d'intervalle. Elles inspirèrent dès lors une bonne partie des reconstitutions.

En 1894, un étendard fut réalisé pour Notre-Dame de Paris, respectant au maximum les indications des témoins, mais plaçant au revers le motif du pennon.

En 1909 le conservateur du musée Jeanne d’Arc à Orléans fit faire une nouvelle reconstitution, s’inspirant cette foie de la tapisserie d’Azeglio et de l’étendard de Notre-Dame.

En 1909 également, Henri de Barenton proposa une reconstitution qui accumulait sur une face d’un seul étendard les motifs de l’étendard et du pennon. Malgré les prétentions de l’auteur à une parfaite fidélité historique, sa proposition n’eut à juste titre aucune répercussion.

Bien d’autres solutions furent encore proposées, les auteurs ayant toujours tendance à proclamer qu’ils détenaient la vérité absolue, tout en daubant sur les erreurs de leurs prédécesseurs. Le choix de reconstitutions proposées ici n’est pas exhaustif, d’autres étendards ayant par ailleurs été réalisés pour les fêtes de la canonisation en 1920 et pour le Ve centenaire de la levée du siège d’Orléans en 1929, à Reims, Rouen et Lagny-sur-Marne.

En 1931 un étendard reconstitué en Angleterre, de très grande taille, fut offert à la cathédrale de Reims, ses motifs étant surtout inspirés par le greffier de la Rochelle.

L’actuel étendard des fêtes de Jeanne d’Arc date de 1936 et reprend la disposition de l’étendard réalisé à Orléans en 1909.

La première étude complète des étendards du XVe siècle, ainsi que la critique des sources concernant celui de Jeanne d’Arc, fut réalisée en 1974 par le colonel de Liocourt. Toutes ses conclusions n’ont pas été retenues, loin de là. Mais la somme de travail que représente son ouvrage a été à la base de nos recherches.